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C’est une petite fleur jaune, du moins ce qu’il en reste. Un peu fanée, tout droit tombée de mes cheveux, dans un coin de la salle de bain. Entre mes doigts maintenant elle s’étiole doucement. Elle me rappelle que j’adore fabriquer des couronnes de fleurs. Je suis de ce genre-là. J’imagine, j’invente, je fabrique, je crée. Je suis surentraînée depuis toute petite par une maman qui a vu en moi sa princesse provençale. Alors les colliers en coquillages, les bateaux en feuilles de bambous, les coussins de lavande et les demoiselles en coquelicot sont une deuxième nature.

La valise héritée de mon grand-père est un cadeau de ma mère. Ancienne valise de guerre, elle a gardé les stigmates de ses voyages à travers les mers et les conflits et a profité d’une retraite édulcorée dans la penderie de ma chambre rose. Elle est garnie de rêves en tissus, de mille vies en dentelle et d’accessoires d’une autre époque. La robe de danseuse espagnole rouge à pois blanc, le costume traditionnel de Bavière, la tenue de déesse grecque confectionnée par ma mère, l’ombrelle ajourée et les immenses jupons de ma grand-tante… A côté de cette malle aux trésors, un vanity en cuir abrite sagement une centaine de fioles remplies de perles de rocailles classées par couleur. Autrefois utilisées pour fabriquer mes fleurs et mes arbustes miniatures, elles attendent de révéler à nouveau tout leur potentiel créatif. Quelques meubles plus loin, une vieille boite à couture se réjouit à l’avance de dévoiler un jour sa ribambelle de rubans en satin, ses boutons multicolores qui tintent comme des pièces d’or dans leur boite en métal et ses coupons de tissus bariolés.

Tout ce petit monde attendait ma petite demoiselle, ma fillette, cette merveilleuse petite brune (une certitude confirmée depuis 6 générations) qui serait ma princesse et à qui je transmettrai l’art et les savoir-faire des femmes de la famille.

Je t’ai appelé Aaron mon fils. Mon gaillard blond comme les blés. Mes pompons de laine aussitôt finis sont disséqués pour nourrir les animaux de la ferme en plastique. Les bateaux de feuilles sont démontés avant que j’ai le temps d’y fixer un mât. Mes châteaux de sable s’envolent au profit d’un circuit de course automobile et tes chemisettes à col blanc me racontent chaque soir l’ensemble de tes activités en texture et en couleurs. Mon Colisée et mon Taj Mahal en pâte à modeler ne se sont jamais remis de leur métamorphose en crêpe, sous cette frappe unique et ferme de ta main décidée. Et qu’est-ce qu’on a ri…

Au gré de nos balades printanières, mes cheveux et mes chapeaux de paille se sont couverts de fleurs sauvages que tu cueilles avec soin. A l’automne tu t’appliques à choisir les plus grandes feuilles de platanes et de châtaigniers pour m’en faire cadeau. Je suis gâtée.
Le matin, pendant notre trajet quotidien, je suis Lisa, tu es Sôsuké et tu me racontes qu’ensemble nous allons chercher Ponyo. Je suis si courageuse que je sais conduire sous l’océan à toute allure. Je suis la plus forte.
Dans l’ascenseur de nos voisins, il y a une barre fixe. J’aime ton regard émerveillé pour cette danseuse en Converse que je suis, en faisant des pointes maladroites entre un sac de provisions et une poubelle de tri sélectif. Je suis une artiste.
Après mon bain, tu t’empares parfois de mon peigne et tu me coiffes soigneusement, même si c’est de bas en haut et tu joins la parole à ton acte : «Voilà, tu es jolie Maman». Je suis belle.
Avec toi je n’ai peur de rien, même pas des bêtes sauvages car je t’ai vu à l’œuvre quand on part camper 2 heures au parc. Tu brandis ton bâton-pistolet et tu bondis hors de la tente pour me défendre. Je suis protégée.
Entre Hugo, Lucie, Mathias, Charlotte et Lucy tu as l’embarras du choix pour passer tes après-midis et pourtant tu me réponds toujours la même chose : « Non avec toi maman, que tous les 2.» Je suis irremplaçable.
J’ai développé les pouvoirs secrets des meilleures mamans du monde. Je maîtrise le bisou qui guérit, la main du soir qui chasse les cauchemars et les bras-abris plus sécurisants qu’une chambre forte. J’ai les pouvoirs d’un super-héros.

Alors ce soir, en ramassant ce reste de fleur desséchée j’ai compris l’histoire des mamans. Elles créent des princesses ou bien elles en deviennent une, un jour pour leur petit prince.

Ce n’est pas un conte à l’eau de rose, c’était écrit ce soir, dans ton pissenlit.